Réouverture de Notre-Dame de Paris : peintre et prêtre, Bernard Duvert « fou » de la cathédrale
Publié le 13 Décembre 2024
08 déc. 2024
Réouverture de Notre-Dame de Paris : peintre et prêtre, Bernard Duvert « fou » de la cathédrale Dès l’âge de 12 ans, Bernard Duvert, mort en 2022, s’est passionné pour Notre-Dame. Petit chanteur de la maîtrise, puis prêtre atypique et libertaire, il a peint des centaines de toiles du monument, notamment après l’incendie. Elles sont exposées à la mairie du Ve arrondissement. ![]()
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« C’est ma maison qui brûle, c’est ma maison qui brûle ! » Le 15 avril 2019, lorsqu’il découvre les flammes qui ravagent Notre-Dame de Paris, Bernard Duvert répète ces mots en boucle. Tout aussi compulsivement, il va prendre ses pinceaux, ses toiles, et peindre, peindre encore. Des dizaines d’œuvres dont une partie embrase les murs de la mairie du Ve arrondissement de Paris, pour une exposition exceptionnelle à l’heure de la réouverture de la cathédrale, signées d’un artiste dont le destin ne l’est pas moins.
Peintre, Bernard Duvert, décédé en août 2022 à 71 ans, l’est d’évidence. Du figuratif des années 1980 à l’abstraction des dernières années, des dessins aux tableaux en passant par les aquarelles, les 96 toiles réunies ici expriment toute la palette de son talent. Une petite partie de sa production.
« Il était prolifique. En soixante années de peinture, on estime qu’il a réalisé 7 000 œuvres, soit trois ou quatre par jour », détaille Erik Feller, grand ami et organiste de renom, commissaire de l’exposition et ayant droit du peintre. Ici, en face du Panthéon, on ne retrouve que celles consacrées à sa passion sacrée : Notre-Dame. Car autant qu’artiste, Bernard Duvert est prêtre. Mais pas tout à fait comme les autres…
« Toute sa vie, il va osciller entre la religion et l’art »
Enfant de Belleville, pur Parisien, il est issu d’une famille d’artistes et son père était régisseur au Folies-Bergère. « Dès l’âge de 6 ans, un cousin peintre va lui mettre des pinceaux en main. Mais très tôt aussi, il a une vocation de prêtre. À 11 ans, il commence son histoire d’amour avec la cathédrale en entrant comme petit chanteur à la maîtrise de Notre-Dame. Dans l’exposition, on peut voir son premier dessin quand il a 12 ans. En 1963, il participe ainsi à l’enregistrement d’un disque à l’occasion du huitième centenaire du monument. Il va passer trois ou quatre ans dans la maîtrise, puis entrer au petit séminaire. Il sera ordonné en 1979. Toute sa vie, il va osciller entre deux mondes : la religion et l’art. Pour lui, l’essentiel, c’était la sacralité des choses », raconte Erik Feller.
Un mariage pas toujours évident, d’autant que, d’abord nommé à Toulouse avant d’être appelé auprès du maître de chapelle de Notre-Dame dans les années 1980, fait preuve d’une grande liberté d’esprit, se définissant lui-même comme un « catho libre ».
« Il était dans une démarche assez atypique. Il va se mettre à produire énormément à partir de ce moment-là. Il va écrire aussi beaucoup et aller très loin pour un prêtre, notamment en publiant des textes sur l’érotisme et le sacré… Mgr Gaillot va devenir l’un de ses grands amis. L’Église va prendre quelques distances avec lui… Mais, en 1980, quand il a demandé à pouvoir faire des aquarelles à l’intérieur de la cathédrale, le diocèse a accepté », se souvient l’organiste.
« Il savait tout faire et le faisait avec une liberté absolue »
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Dès les années 1990, entre Toulouse et Paris, Bernard Duvert fréquente davantage son atelier que les églises. « Il n’avait plus de diocèse. Il était un SDF, sans diocèse fixe, comme il aimait à plaisanter, ou encore un prêtre free-lance, relate la journaliste Arlette Chabot. Il rencontre alors le peintre suédois Bengt Lindström, qui va devenir l’un de ses maîtres, et se lie d’amitié avec un cercle d’artistes : la comédienne Andréa Ferréol, les comédiens Jean-Claude Dreyfus et Michel Fau, Hélène Nougaro, la femme de Claude Nougaro … C’est Andréa qui me l’a présenté. On a un peu flashé tous les deux. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme lui : c’était un individu incroyable, un prêtre complètement hors norme, au point qu’il est difficile à qualifier. »
« Il savait tout faire dans la vie et le faisait avec une liberté absolue. Il était un peu en marge de l’Église… Notre-Dame, il en parlait souvent : c’était sa vie », poursuit Arlette Chabot, qui a pourtant croisé beaucoup de monde pendant sa carrière.
Pour Nathalie Vannereau, qui a réalisé un documentaire sur le personnage, « L’Esprit souffle où il veut », « Bernard était un être subversif, qui avait su unifier sa vocation de prêtre et d’artiste dans un seul geste. Il était plein d’humour et habité par la puissance créatrice. C’est un météore dans l’histoire de l’art et de l’Église. Quelqu’un d’exceptionnel. L’incendie de Notre-Dame a provoqué une vague de douleur chez lui. Ça l’a brisé. »
Mort trop tôt, sans doute aurait-il aimé assister à la renaissance de l’édifice ce week-end. « Oui bien sûr, confirme son ami Erik Feller. Mais pour lui, il y avait un avant et un après. Il disait qu’il ne la retrouverait plus jamais comme dans son enfance… À voir sa transformation, les faits lui donnent raison. Espérons que sa plus grande crainte ne soit jamais réalisée : celle de voir Notre-Dame devenir un objet de musée, comme la tour Eiffel ou Versailles … »
« Couleurs cathédrale, Notre-Dame de Paris », exposition à la mairie du Ve arrondissement, jusqu’au 20 décembre, du lundi au vendredi de 10 heures à 18 heures (le jeudi de 11 heures à 19 heures et le samedi de 10 heures à 12 heures). Gratuit. Projection du documentaire « Bernard Duvert, l’Esprit souffle où il veut » le 9 décembre (19 heures) et le 19 décembre (19h30) au cinéma l’Épée de Bois, 100, rue Mouffetard (Paris Ve).
Christophe Levent
LeParisien.fr -