NEWSLETTER N°5
Publié le 9 Février 2022
Réponse à Vincent Cespedes
Le secret n’a pas dit son dernier mot
« La liberté et le secret ne sont pas opposables », me répond Vincent Cespedes. Parlons-nous du même secret ?
Etymologiquement, dans sa racine latine « secretum », est ce qui doit rester caché. En cela, le mot est proche du « sacrum », le « sacré », qui par sa nature reste voilé aux yeux du profane. Il est important de redéfinir les mots comme on se doit d’accorder l’orchestre au même « la ». Mais, si le « la » de l’orchestre est le même pour tous les instruments, il diffère lorsqu’il s’agit de musique ancienne. Ce qui signifie que les registres ne sont pas toujours les mêmes. Aussi, sans défendre pour autant le « la » de l’Eglise romaine, il me semble primordial au degré de l’analyse de Vincent Cespedes, au sujet de la possibilité de la levée du secret ecclésiastique, de préciser que le secret du confessionnal n’a pas la même destination que le secret en matière pénale.
Nous sommes ici sur deux registres bien différents l’un de l’autre, et il est tout à fait normal que le « la « des uns ne s’accorde pas avec le « la » des autres.
Ici, le secret et le sacré ouvrent une dimension anthropologique au mystère, car personne ne se réduit jamais à la somme de ses actes, ni à l’identité qu’il s’est confectionnée à lui-même. C’est précisément parce que l’être est mystère, y compris pour lui-même, qu’il y a un véritable secret au cœur de la condition humaine.
Dans l’ordre du sacré, le secret ne peut être comparé au secret médical ou encore à celui de la Justice. Il serait plutôt comparable à celui des alchimistes, ou pour prendre un exemple, à celui de quelques obédiences maçonniques, plus on atteint les degrés supérieurs du secret. Or, tout membre religieux ou non, ne fait que se subordonner à une dimension sacrée dès lors qu’il relie son secret à cette ultime dimension qui en constitue le socle. Il ne s’agit pas là d’une stratégie mais d’un point d’assise auquel tout prêtre légitime sa fonction au confessionnal. De sorte que le secret du confessionnal est et sera toujours maintenu sur le registre du sacré inviolable. Nous sommes là sur deux droites parallèles qui ne peuvent se rejoindre entre le sacré et le profane. Ce qui les sépare est une rupture totale. C’est pourquoi aussi le secret de la confession doit échapper à toute considération pragmatique comme à toute stratégie d’éradication des culpabilités ou des pathologies. Il ne peut se mouvoir comme une information que l’on délivrerait pour libérer sa conscience sans oublier qu’il est d’abord une parole de confiance et d’abandon. En cela, il crée cette distance absolument nécessaire pour ne pas l’engloutir dans le vide dangereux de la culpabilité.
Et c’est ici que se noue l’alchimie entre le coupable et sa victime, accablés tous deux par ce qu’ils vivent. Il est alors important que chacun fasse la vérité et puisse se la confier, non pour se mentir, mais pour aller au-delà du cercle infernal de la culpabilité et du repliement sur soi.
Vouloir traquer et violer tout secret préservé serait imposer une transparence mortifère à libérer la parole dans le destin conjoint du coupable et de la victime.
Une humanité qui s’identifierait d’un côté avec sa culpabilité et de l’autre avec sa pure innocence, serait monstrueuse.
Sans cet espace du sacré et du secret, l’homme s’enferme en lui-même dans ses préjugés moraux qui le conditionnent trop souvent dans un circuit de haine et de vengeance. Il s’agit plutôt de préserver le secret dans le sacré pour la renaissance aussi bien du coupable que des victimes. C’est préserver une dimension dans la profondeur de l’homme, celle de sa transcendance et du sacré, au lieu de vouloir régler ses comptes.
Aussi, sans vouloir défendre pour autant le point de vue de l’Eglise romaine, qui par ailleurs se laisse piéger par ses adversaires en oubliant le sacré, pas plus qu’il ne s’agit aucunement de couvrir ou d’excuser le système ecclésiastique et ses scories, je revendique le secret comme une condition préalable pour sauver la profondeur de l’homme, celle de la transcendance et du sacré. Et je ne crois pas un seul instant au « cinéma » des épiscopats et de Rome pour se justifier de leur transparence, surtout lorsque ce sont les mêmes qui prétendent dénoncer les leurs, alors qu’ils sont ou ont été, soit des victimes compatissantes soit des abuseurs.
Et si le secret permettait une lueur d’espoir et de renaissance ?
Bernard DUVERT
06 février 2022