Newsletter N°2
Publié le 2 Décembre 2021
Je rebondis sur l’éditorial de Vincent Cespedes paru dans le Monde du 26/11/2021, afin de souligner mes points d’accord et de désaccord avec lui.
J’engage avec vous cette Newsletter, chers lecteurs, soucieux de partager ensemble nos points de vue dans une publication qui pourrait voir le jour tôt ou tard sur plusieurs autres sujets.
Ici, et par rapport aux drames de la pédophilie dans l’Église, il s’agit de reprendre le condensé du texte de Vincent Cespedes, philosophe, qui n’hésite pas à écrire « dissolvons l’Église Catholique » au nom de « l’étendue des crimes sexuels commis par les religieux ». Il ajoute que cela aurait pour « conséquences non pas – utopiques -, mais salutaires : la fin de la domination d’une institution massivement et systématiquement criminelle… »
Mon point d’accord serait effectivement, comme il le développe, de réhabiliter une sorte de statut associatif comme, souligne-t-il, il existe l’association diocésaine, qui « aurait l’avantage de briser cette structure centralisée, sans contre-pouvoirs et ultra toxique ». Il rappelle à ce titre « que l’Église catholique n’est pas la religion catholique. La première est une institution sous statut particulier ; la seconde est une foi partagée au-delà même des institutions qui la sous-tendent ici ou là. »
Dans une société où une galaxie de lobbies fait loi, le point positif à une telle proposition aurait l’avantage que chacun s’y retrouve. Les conservateurs comme les plus avant-gardistes exprimeraient une liberté de penser et d’agir qui ne dépendrait plus du seul verdict d’un évêque et encore moins de Rome. Tout comme au temps des premières communautés chrétiennes, où celles-ci choisissaient de s’organiser entre elles. Il y avait, grâce au concours de l’apôtre Paul, l’Église d’Ephèse, l’Église de Corinthe et tant d’autres qui s’ajoutaient, telle une magnifique mosaïque où l’Orient a su en chacune de ces Églises, construire sa propre autonomie. Tout le Centralisme Romain est l’aboutissement et la volonté de Constantin au IVème siècle, se concrétisant par une lutte acharnée entre le Pouvoir autoritaire qu’il installait à Rome et l’indépendance des Églises d’Orient. Pouvoir qui se perpétue toujours aujourd’hui dans les directives pontificales, sous des allures soi-disant plus ouvertes à l’écoute des autres !Comme le souligne, à juste titre, Vincent Cespedes, « l’Église Catholique (en France) n’a jamais digéré la loi de séparation des Églises et de l’Etat de 1905 »… c’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle trouva une sortie de secours en créant son statut propre : l’association diocésaine (1923). Ne faut-il pas ajouter que ce statut lui a servi et lui sert encore de contre-pouvoir pour parer à d’autres « association cultuelles qui éroderaient son pouvoir, et ainsi de préserver le lien de – communion – et de subordination – qui lie ses évêques au Vatican. »
En conclusion de quoi, sur ce point, il serait important voire nécessaire, devant les risques de radicalisation du Pouvoir Suprême, souvent injustes, que chaque croyant retrouve sa liberté de conscience et d’action. Foi et conscience sont liées à cette liberté fondamentale d’action, à laquelle s’oppose tout système totalitaire. Il semble, que le Message du Christ, qui à cet égard n’a fondé aucune législation ecclésiale, exprime cette profonde liberté d’être soi-même – non pas catholique mais « catho-libre ». C’est, à mon avis, une voie d’avenir en un temps où la majorité du monde catholique s’est dissoute dans une nébuleuse gazeuse incolore, inodore face au débat actuel. Le dernier bastion étant ce que l’on nomme péjorativement : les cathos.
Par contre, dois-je à présent souligner mon point de désaccord avec Vincent Cespedes. Certes, si cette dissolution de l’Église Catholique dans une « multiplication d’associations cultuelles » aurait l’avantage de neutraliser sa capacité d’excommunication, tant pour les prêtres fidèles au Missel de St Pie V que pour ceux qui prendraient d’autres libertés liturgiques, elle ne saurait s’appuyer sur cette nouvelle organisation afin de justifier la levée définitive du secret de la confession, comme le souhaite Vincent Cespedes dans ce même éditorial. La liberté et le secret ne sont pas opposables. C’est la liberté de conscience qui doit primer. Et c’est la raison aussi pour laquelle le secret vaut ce qu’il est par lui-même, sinon il n’aurait plus de sens. Si la personne vient confier au prêtre son secret, il doit y avoir une réciprocité de consensus sur la démarche en elle-même.
D’autre part, je récuse cette forme d’amplification discriminatoire que Vincent Cespedes utilise à ses fins pour dénoncer dans l’Institution Église ce qu’il appelle sa « domination massivement et systématiquement pédocriminelle ». C’est non seulement outrageant mais diffamatoire envers celles et ceux qui sont attachés à de vraies valeurs, porteuses d’une Histoire et d’une Tradition multiséculaires. De par son anticléricalisme affirmé, Vincent Cespedes n’hésite pas à profiter de cette situation pour remettre en cause l’Institution tout entière. C’est un peu comme si on cédait à l’idée, qu’au regard du nombre des viols et harcèlements sexuels, il faille tuer tous les hommes !
Bousculer les codes ne veut pas dire imposer d’autres codes. Je suis à ce titre bien placé pour me positionner ainsi, vu mon parcours depuis le petit séminaire dans les années 60 à mon ordination presque vingt ans plus tard. Il m’a été très difficile de trouver ma place au sein d’une cléricature figée en mode quasi-féodal. Pour autant, j’ai su développer mon identité propre, en me démarquant bien du Système Église, et de ses acteurs dont je ne me suis jamais privé de dénoncer l’hypocrisie, voire même les mensonges. Mes ouvrages, me semble-t-il, ont répondu à la perfidie d’une théologie morale dangereuse, déconnectée de notre temps, et faisant par là-même des victimes de l’intérieur (Rose soutane, Éditions de la Différence, 2006 / Le Calice des secrets, Éditions de la Différence, 2017).
Que chacun puisse s’épanouir dans ses caractéristiques propres, serait faire preuve de tolérance, et préserver d’autres prêtres qui ne méritent pas qu’on les mêle à l’ivraie. On peut avoir été victime de violences ou d’abus sexuels, se reconstruire ou non, sans avoir à jeter l’opprobre sur la globalité d’une religion, quelle qu’elle soit.
C’est mon point de vue… j’attends le vôtre !
Bernard DUVERT (Père Marie Bernard)
1er décembre 2021